samedi 10 décembre 2011

Interview de Wilfrid LUPANO

Cette semaine je vous propose une interview de Wilfrid LUPANO. Scénariste prolixe, il est l'auteur de nombreuses séries à succès ces dernières années. Véritable touche à tout, Wilfrid passe d'un univers à un autre avec aisance.

Et que dire des titres de ses séries ? Originaux et toujours bien pensés !

Je vous laisse en compagnie de Pénélope, Laura et Wilfrid, bonnne lecture !



  • Pouvez vous nous parler du métier de scénariste?

Il y aurait beaucoup de choses à dire. On peut le résumer en disant que le scénariste écrit pour l'image, quelle qu'elle soit : BD, animation, film, jeu vidéo etc… à l'inverse d'un romancier, le scénariste n'est pas en lien direct avec le public, qui n'a pas accès directement à son travail d'écriture, en dehors des dialogues. Mais l'écriture du scénario dépasse largement le cadre du dialogue : choix des personnages, choix des scènes, rythme, rebondissements etc... D'autres artistes s'approprient le travail du scénariste pour l'interpréter et le faire exister: dessinateur et coloriste dans la BD, acteurs et réalisateurs au cinéma.
L'assassin qu'elle mérite - Ed Vents d'ouest
Le scénariste est donc au départ de quelque chose, d'un projet, mais il n'est pas seul maître à bord, comme le romancier. Voilà pour les généralités. Plus spécifiquement, le scénariste de bande dessinée doit maîtriser pas mal de contraintes techniques. La bd est avant tout une histoire de cadres: la case est un cadre, mais la page en est un autre, et le livre, généralement formaté à 46, 54 ou 62 pages, en est encore un autre. Trop de cases dans une page, et c'est indigeste. Pas assez de cases, et l'intrigue avance trop lentement, car le nombre de pages est souvent limité. une page de droite et une page de gauche ont des valeurs différentes, en narration, et il faut en tenir compte… Bref, pas mal de spécificités d'écriture et de maîtrise du rythme.

En revanche, l'écriture de bande dessinée offre une très grande liberté de ton et de sujet. Alors qu'au cinéma on ne peut pas dissocier l'écriture de la problématique de l'argent( les décors somptueux coûtent cher, les effets spéciaux aussi), on peut dire qu'en bande dessinée, la seule limite réside dans le talent des auteurs. Si le dessinateur sait le dessiner, je peux tout écrire. Des planètes qui explosent, des armées entières qui s'affrontent, etc… enfin je dirai que l'aspect le plus stimulant de ce métier est qu'il m'incite à me cultiver sans cesse. Pour chaque nouveau projet d'écriture, je dois me documenter, approfondir des connaissances historiques, ou religieuses, ou comprendre le fonctionnement d'une machine ou le cycle de vie d'une plante, me documenter sur les métiers d'autrefois, me tenir informé des progrès de la science, etc… grâce à ce métier, je ne cesse jamais d'apprendre et de découvrir le monde. C'est l'école toute la journée, mais je choisis mes matières. il n'y a pas de routine, et c'est ce qui me plait le plus


  • Pourquoi avoir choisi de vous diversifier dans vos thèmes d'écriture? D'où vient votre inspiration ?

Je suis d'un naturel curieux, et j'ai sans cesse de nouvelles envies et de nouveaux projets. Comme je l'ai dit plus haut, ce métier me donne la chance d'apprendre sans arrêt des choses nouvelles, et ce serait pour moi une forme de paresse de me contenter de décliner à l'infini le même univers et les mêmes personnages, j'aurais peur de m'ennuyer. Chaque nouvelle collaboration avec un dessinateur me permet de changer de style, d'utiliser son univers graphique pour raconter de nouvelles choses, pour explorer de nouveaux univers. C'est un peu comme si un écrivain était capable d'écrire dans plusieurs styles littéraires. C'est un autre aspect intéressant de ce métier: à chaque nouvelle collaboration, on peut être quelqu'un d'autre. Ce serait dommage de s'en priver.
Alim le tanneur - Ed Delcourt
Mon inspiration me vient essentiellement de mes lectures, très souvent d'articles de presse, d'essais, ou de témoignages. Plus rarement de reportages que je peux voir. Je lis assez peu de bande dessinée en fait, et je ne suis donc presque jamais inspiré par le travail des autres. De manière générale, l'inspiration est toujours un peu un mystère. Je suis souvent bien en peine d'expliquer comment m'est venue telle ou telle idée. elle est venue, c'est déjà pas mal.
  • La première fois où vous avez songé à écrire « le Droit Chemin » quelles étaient vos motivations? Pensez -vous donner une suite à l'ouvrage?



Le droit chemin - Ed Delcourt
L'idée originale était de montrer le parcours d'une bande de "voyous", de leur début à leur vieux jours, en montrant comment, dans une période troublée comme celle des années 30 et 40, les notions de bien et de mal, de droit chemin et de légalité, pouvaient avoir des frontières assez floues. pendant la deuxième guerre mondiale, de "braves et honnêtes" gens ont allègrement collaboré avec l'occupant allemand, tandis que des malfrats et des truands ont parfois mis leurs "compétences " au service de la résistance. Qui donc était dans le droit chemin, alors ? Autre exemple, lorsque les américains ont commencé à préparer le débarquement en europe, ils ont commencé par aller voir Lucky Luciano, un parrain de la mafia alors incarcéré à new York, pour lui demander de convaincre les chefs de la maffia italienne de les aider à préparer leur arrivée sur les côtes italiennes. Nous avons donc été libérés des allemands grâce au soutien de la mafia ? ben oui, mais on essaye de ne pas trop en parler dans les livres d'histoire… Bref, voilà quelles étaient les idées de base. Après, je voulais éviter de faire de mes personnages des inévitables gamins des rues de paris, et je me suis donc intéressé à la campagne française des années 30. J'avais envie d'un cadre champêtre et ensoleillé pour les débuts de ma bande de malfrats.


  • Le thème des lycées agricoles n’est pas commun. Comment vous y êtes vous intéressé ? Vous même avez été élève en lycée agricole ?


C'est par hasard, au cours de mes recherches, que je suis tombé sur des exemples d'école d'agriculture des années trente, et j'ai tout de suite eu envie de placer mon histoire dans ce cadre. Ma compagne a été prof de ESC en lycée agricole, donc j'étais déjà un peu en terrain connu...


  • Travaillez-vous de la même manière avec tous vos dessinateurs? Comment cela se passe t-il en général ?


Non, les façons de travailler changent quasiment à chaque fois. Ce qui ne change pas, c'est que je fournis une première version du scénario dialogué, avec des descriptions et une pagination, ainsi qu'une montagne de documents ( photos, dessins, gravures, extraits de films qui visent à décrire au mieux certains aspects ou certaines ambiances de l'histoire).

L'homme qui n'aimait pas les armes à feu - Ed delcourt

ensuite, selon les dessinateurs, après validation de l'histoire, je réécris une nouvelle version case par case, en décrivant le contenu de chaque case, sur le mode " voilà ce qu'on doit voir, voilà ce que les personnages disent, et voilà ce qu'on doit comprendre ou ressentir dans cette case."
Le dessinateur me fait alors une proposition de "storyboard", une ébauche rapide de ce que sera la page, avec les cases positionnées, les cadrages faits, les bulles placées etc… On retravaille ensuite cette version jusqu'à ce qu'on en soit parfaitement content. Puis le dessinateur réalise la page. Selon son ancienneté, son talent, et notre degré de compréhension mutuelle, il peut arriver que ses étapes prennent plus ou moins de temps. Il m'arrive de ne pas donner le découpage case par case, lorsque le dessinateur exprime l'envie de le réaliser lui-même d'après mon texte d'origine.


  • Pensez-vous vos histoires en histoire complète Ou vous les écrivez tome par tome?


Un peu les deux. Impossible d'écrire une histoire si on n'a pas une idée déjà assez bonne de la façon dont on veut la finir. j'ai donc en général un plan de construction de la série, dans ses grandes lignes, ses enjeux, ses ambiances. Mais ensuite, je ne peux pas écrire cinq tomes d'un coup, car il faut attendre de voir si la série marche, et comment s'en sort le dessinateur. J'ajoute que je n'aime pas présenter plus d'un tome à la fois au dessinateur, pour qu'il conserve la fraîcheur de la lecture à chaque tome. Comme la réalisation des planches est assez longue, un dessinateur qui sait à l'avance ce qu'il va devoir dessiner dans deux ou trois ans a beaucoup plus de chance de se lasser et donc de moins s'impliquer dans la série. en découvrant chaque année la teneur du tome suivant, il garde une fraicheur et une motivation. Naturellement, cela demande une grande confiance entre les auteurs.


  • Êtes vous aussi diversifié dans vos lectures que dans vos écrits? Quelle est votre série favorite ?

je suis plus que diversifié, je suis chaotique. Oui, je lis de tout, de tous les styles. Mon romancier préféré est Dostoievski, et ma BD préférée est Clavin et Hobbes. c'est dire !


  • Pouvez-vous nous faire part de vos projets?


j'en ai plusieurs. Je poursuis la série l'ASSASSIN QU'ELLE MÉRITE, aux éditions Vent d'Ouest, avec Yannick Corboz au dessin, et j'initie chez le même éditeur une nouvelle série avec Andreae, intitulée AZIMUT. Il s'agit d'un récit burlesque, épique et fantasque sur le thème du temps.
Azimut - Ed Vents d'ouest


Je sortirai également en 2012 le premier tome d'une nouvelle série intitulée LES VIEUX FOURNEAUX, chez DARGAUD, dessinée par Paul CAUUET. C'est une comédie contemporaine qui met en scène 3 vieux amis de longue date qui portent leur regard expérimenté sur le monde. Il aura également un "one shot" ( un roman graphique, quoi…) sur le thème du racisme et de la bêtise humaine, chez Delcourt. bref, pas mal de choses...


  • Si vous deviez être l’un de vos personnages, lequel serait-ce ?

je pense que ce serait Célestin, mais je ferai recoudre mon pantalon...
Célestin gobe la lune - Ed Delcourt

Merci Monsieur LUPANO !


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