samedi 26 novembre 2011

Interview d'Olivier JOUVRAY

En visite au lycée de Cibeins (voir le post précédent) pour encourager l'ensemble de l'équipe, Olivier JOUVRAY a bien voulu se prêter au jeu de l'interview en répondant aux questions de Manon et Chrystelle.

Bonne lecture!


Est-ce qu'il existe un parcours-type pour devenir scénariste ? Lequel ? L'avez-vous
suivi ?

Lincon - Ed Paquet
A l'époque, il n'existait pas d'études pour devenir scénariste. Il n'y avait en tout cas pas de formation pour la bande dessinée, seulement pour le cinéma. Mon frère m'a
dit qu'avant de faire de la bande dessinée, il fallait comprendre son langage : le
support a une influence sur le contenu. Aujourd'hui, je donne des cours de scénario à
Lyon.



Cette profession vous a-t-elle toujours attirée ? Réalisez-vous aujourd'hui un rêve
de toujours ?

Mon père a fait les beaux-arts de Lyon. Petit, j'ai beaucoup dessiné avec mon frère,
mais je n'étais pas très doué, j'étais incapable de rester concentré !
Être scénariste n'est pas une vocation. J'ai étudié les sciences du langage et obtenu
une licence cinématographique.
J'ai été organisateur de raids touristiques, chômeur, graphiste... Jusqu'au jour où
j'ai suivi mon frère à un festival. J'y ai rencontré des auteurs. C'était sympa, ça
m'a beaucoup plu. J'ai proposé à Jérôme de dessiner mon premier scénario.

Concrètement, quelles sont les réalités du métier ?

Le scénariste, c'est d'abord quelqu'un qui écrit des histoires. Ce n'est pas du
détail (angle de vue, style de personnage, émotion...), cette partie est confiée au
dessinateur.
Je commence par me poser quelques questions : quel thème je vais aborder ou quel
décor je vais poser... Je mets en forme mes idées et le contenu prochain des cases de
la BD dans ce qu'on appelle un scénario.
Pour être bon scénariste, il faut être bon comédien. Pour exprimer correctement un
personnage, il faut imaginer jouer son rôle C'est un travail d'empathie. Il faut
comprendre le processus mental du personnage.

Lincoln - Ed Paquet


Comment naissent les idées ?

Comment viennent les idées... ? C'est une très bonne question. Il faut avant tout
avoir beaucoup d'imagination, qui se nourrit de curiosité. Le dessinateur et le
scénariste doivent observer le monde afin de retransmettre une vision personnelle. Il
faut beaucoup lire, être en interaction avec le monde. On n’invente rien sans rien.
L'inspiration, c'est comme un trésor qu'on va inventer ou comme un bon cuisinier qui
saura mélanger des ingrédients simples pour faire un bon petit plat. Une idée c'est
un mélange de plein de choses, de plein d'influences et de thèmes qui te touchent.

Quels thèmes préférez-vous aborder ? Pourquoi ?

Tous les thèmes m'intéressent mais je ne réfléchis jamais à une histoire sans savoir
qui va la dessiner. Ce métier, je le fais pour avoir des amis, pour avoir un lien
avec un dessinateur. Ce qui m'intéresse, c'est d'aller à la rencontre des gens. On
partage tous les deux des envies, des créations... Quelque part on grandit d'avantage
si on y réfléchit ensemble. Et plus on va grandir, plus on va sortir de nos
limites... Plus on sera transformé.

Avez-vous certains critères sur lesquels vous baser pour choisir le dessinateur ?
Est-ce que vous lui donnez de nombreuses consignes ou vous le laissez s'exprimer
dans le style qui lui est propre ?

"Nous ne serons jamais des héros"
 Dessin de Fred SALSEDO
 Ed Le Lombard
Je recherche avant tout des qualités humaines et graphiques chez le dessinateur. Je
n'ai pas besoin du meilleur mais de quelqu'un qui sait dessiner ce que je veux
exprimer. J'ai envie d'une vraie implication émotionnelle.
Parfois je ne termine pas mon scénario « seul » : certains dessinateurs aiment me
suivre afin de retravailler ou de corriger d'éventuelles erreurs. C'est assez
compliqué, mais beaucoup plus sécurisant. Je prends toujours en compte l'avis du
dessinateur et je préfère lui laisser une certaine liberté car il peut aussi avoir
de bonnes idées. C'est une collaboration. Une BD naît à la fois avec le scénariste,
mais aussi avec le dessinateur.

Êtes-vous finalement toujours satisfait du rendu, à l'édition ? L'album est-il
toujours raccord à l'idée de départ ?

Je ne suis pas toujours satisfait. Mais plus j'avance dans ma carrière, plus je le
suis.

Vous expliquez-vous le succès de la série Lincoln ?

Je n'arrive pas vraiment à expliquer le succès de la série. Quand je l'ai commencée,
je n'avais aucune expérience et mon frère n'avait connu pratiquement qu'un éditeur.
J'étais plutôt confiant car le dessin de Jérôme exprimait parfaitement ce que j'avais
en tête. Ça a pris une toute autre dimension. J'ai pensé que ça se tenait à peu près.
Au bout de trois mois on en avait déjà vendu 3 500 exemplaires. Je ne savais pas
encore ce que ça représentait, mais c'était un très bon chiffre ! On a reçu plusieurs
prix dans les festivals. On a fait des dédicaces à Angoulême, où on a rencontré Jean
Giraud, « le pape de la bande dessinée ». Il nous a dit : « C'est du bon travail
les gars ». C'était une belle preuve de reconnaissance.
Après... Pourquoi ça a été un succès ?!
Tout d'abord, une bande dessinée se fait connaître par le bouche à oreille. Entre
librairies, par exemple : si une BD plaît, ça fait le tour. La publicité dans les
magazines ou dans le métro, ça ne marche que pour les très grosses BD.
Puis je me suis rendu compte que des séries humoristiques pour adultes, il n'y en
avait pas tant que ça. Et puis, à l'époque, le western... C'était notre quotidien :
c'était une culture générationnelle. On s'est retrouvé à une époque où l'humour
était devenu vulgaire et plus complexe. J'ai utilisé ce style. Ça a brisé un certain
nombre de tabous (dans le langage, par exemple) : quand un personnage veut dire
merde, il le dit. Qu'il y ait une pudeur sur certaines choses, je comprends. Mais je
veux que les personnages de ma BD s'expriment comme on le fait tous les jours.

Publicité LINCON pour la région Rhône-Alpes

Lui imaginez-vous un avenir ?

Oh, oui ! On avait mis la série en pause avec mon frère car on avait chacun des
projets de notre côté. Puis mon frère a eu des problèmes avec un éditeur. J'ai donc
fait à nouveau un scénario pour Lincoln. C'était très rapide, mais comme je n'avais
pas travaillé depuis longtemps sur la série, j'ai pris plaisir à retrouver cet
univers, les personnages...
J'ai trouvé des idées rapidement grâce à Internet. J'y ai découvert les réalités de
l'époque : les prémices de la prohibition, avec les premiers Etats à interdire
l'alcool. Je voulais alors que Lincoln retourne dans le Nord, dans le Montana, avec
la neige. Le retrouver avec de la barbe, etc... Mais le Montana était un de ces
« Dry States ». J'ai trouvé que c'était une bonne idée, puisque Lincoln aimait
l'alcool. Il faut un tas d'informations pour écrire l'histoire. C'est un gros travail
d'information qui passe par un gros travail documentaire. Aujourd'hui, grâce à
Internet, j'ai en main un outil auquel je n'imaginais même pas avoir accès à
l'époque. Il faut surtout être très curieux.

Lincoln -Ed Paquet

Quelles sont les réalités du travail en famille ?

On est très satisfait, oui. Être frangins a même facilité les choses. On n’a pas du
tout le même caractère. Il est beaucoup plus réservé que moi, mais on a les mêmes
goûts. On a d'abord décidé de travailler dans le même atelier. Je créais des sites
Internet et il faisait ses premières BD. On s'entraidait et ça nous a rapproché. On
a donc déclenché le projet Lincoln. Cette idée d'atelier a transformé notre relation
et c'est grâce à ça qu'on en est là. C'est une vraie collaboration. Ce qui est
marrant c'est que ça m'a appris quel personnage était vraiment mon frère et lui, ça
lui a permis de prendre de l'assurance.

Olivier, Jérôme et Anne-claire JOUVRAY

Un grand merci à Olivier JOUVRAY de nous avoir accordé une partie de son temps, d'avoir su nous mettre à l'aise et de nous avoir présenté le plus précisément possible son métier!

Et si vous vous intérressez à LINCOLN, ou si vous souhaitez tout simplement en savoir plus sur cette série et ses auteurs, n'hésitez pas à aller faire un tour sur le site officiel :


2 commentaires:

  1. Interview très interessante ! Et quelle bonne idée d'organiser un festival de la BD à Cibeins !
    En espérant pouvoir venir, je vous souhaite bon courage et bonne continuation !

    F.M. :)

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  2. Et moi je remercie les élèves pour leur accueil et sans rire, votre travail de "journalistes" est remarquable. Surtout en sachant que je cause vite et beaucoup, le compte rendu est fidèle et bien écrit. Chapeau, je connais quelques "vrais" journalistes qui devraient prendre des leçons auprès de vous. Au plaisir de vous revoir tous bientôt !

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